Pourquoi ce serpent inoffensif imite le redoutable crotale pour survivre dans la nature
Certains serpents sans danger pour l’homme adoptent le comportement des plus dangereux pour tromper les prédateurs. C’est le cas du bullsnake, un serpent qui a développé une étonnante stratégie défensive en mimant le crotale venimeux.
Grâce à sa ressemblance physique et sonore avec le célèbre serpent à sonnette, il parvient à éviter nombre d’attaques. Focus sur cette stratégie bluffante issue de l’évolution naturelle.
Un imitateur étonnant de l’univers des reptiles
Le bullsnake (Pituophis catenifer sayi) fait partie de la même famille que les couleuvres. Bien qu’entièrement non venimeux, ce serpent se distingue par une capacité remarquable : il imite le redoutable crotale, notamment dans son apparence et son comportement.
Son camouflage naturel joue déjà un rôle important : son corps affiche des taches noires et brunes sur une peau crème ou jaunâtre, très semblables à celles du crotale de l’Ouest. Le public non averti, et surtout les prédateurs, peuvent facilement confondre les deux espèces au premier coup d’œil.
Mais ce n’est pas tout. Le bullsnake recourt également à des comportements impressionnants de mimétisme défensif, notamment en adoptant une posture d’attaque et en produisant un son similaire au fameux « rattle ». Le mimétisme n’est pas de la sorcellerie, mais bien un outil de survie.
C’est un bel exemple de mimétisme batésien : une espèce inoffensive en imite une dangereuse pour décourager ses prédateurs. Chez les reptiles, c’est rare, spectaculaire, et terriblement efficace.
Un bluff sonore et postural très efficace
Le bullsnake ne possède évidemment pas de véritable sonnette, contrairement à son modèle le crotale. Cependant, il a développé une technique ingénieuse pour simuler ce bruit inquiétant que produisent les serpents à sonnette.
Il pousse un fort sifflement produit par un repli cartilagineux dans sa gorge, amplifié en contractant certains muscles et en plaçant sa langue contre le palais. Ce sifflement puissant peut ressembler de façon surprenante au bruit de crécelle du crotale.
En parallèle, il bat vigoureusement sa queue contre le sol, les feuilles mortes ou la végétation. Le son ainsi généré renforce l’illusion sonore, et les vibrations mises en œuvre accentuent l’effet. Cette stratégie est d’autant plus crédible dans des régions où le crotale est déjà connu des prédateurs.
Voici ce que le bullsnake combine pour tromper ses ennemis :
– Posture en S, typique d’un serpent prêt à attaquer
– Ouverture de la gueule et mouvement de langue menaçant
– Hiss bruyant amplifié par la gorge
– Vibrations de la queue dans la végétation
Le comportement général de défense du bullsnake est donc une mise en scène très convaincante, utilisant à la fois le visuel, le sonore et la posture pour tromper efficacement ses ennemis.
Des prédateurs redoutables malgré le camouflage
Bien qu’il soit l’un des plus grands serpents non venimeux d’Amérique du Nord (il peut atteindre jusqu’à 2,5 mètres), le bullsnake n’échappe pas au cycle naturel de prédation.
Les jeunes bullsnakes sont les plus vulnérables, notamment sous leur forme d’œuf ou juste après l’éclosion. À ce stade, ils attirent de nombreux prédateurs tels que :
– Les ratons laveurs, qui raffolent des nids de serpents.
– Les coyotes et autres petits mammifères opportunistes.
– Les oiseaux comme les chouettes et les buses.
Une fois adulte, le bullsnake a moins de prédateurs. Toutefois, certaines espèces spécialisées dans l’attaque aérienne, comme les buses ou les hiboux, restent une menace sérieuse. Ces rapaces utilisent leur vue perçante pour repérer une proie discrète, même immobile. La capacité à imiter un crotale devient alors une barrière supplémentaire contre ces attaques.
Mais cette stratégie n’est réellement efficace que dans les écosystèmes où le crotale est présent. En l’absence de crotales, les prédateurs n’associent pas l’apparence ou les sons du bullsnake à un danger réel, ce qui réduit l’efficacité de son bluff.
Un exemple marquant d’adaptation évolutive
Le mimétisme du bullsnake est un exemple fascinant d’adaptation comportementale héritée de l’évolution. Plutôt que de développer un venin ou des crocs perforants, ce serpent a misé sur l’intimidation psychologique.
Il ne s’agit pas d’un cas isolé dans le règne animal : d’autres espèces, souvent beaucoup plus petites comme certains insectes ou amphibiens, arborent aussi des motifs, couleurs ou comportements empruntés à des espèces toxiques. Mais dans le monde des serpents, un mimétisme aussi complexe et multimodal reste assez rare.
Dans certaines zones rurales de l’ouest des États-Unis, les habitants confient avoir souvent confondu les deux serpents, allant jusqu’à tuer des bullsnakes par erreur. Ce phénomène souligne à quel point le mimétisme est convaincant, non seulement pour les prédateurs naturels, mais aussi pour les humains.
Ce mécanisme d’imitation repose ainsi sur l’observation, la peur mémorisée, et un ensemble de signaux sensoriels. Si la stratégie du bullsnake fonctionne aussi bien, c’est parce qu’elle exploite ces instincts ancrés chez ses adversaires naturels.
Enfin, ce comportement défensif nous rappelle combien les stratégies de survie dans la nature peuvent être inventives – presque théâtrales – et à quel point chaque signal, chaque mimique compte pour préserver sa place dans l’écosystème.