Une course folle à travers les États-Unis pour documenter la diversité des reptiles ? C’est le défi un peu fou qu’Anthony Pierlioni et ses compagnons se sont lancé. Au fil des kilomètres, un seul objectif : observer le plus grand nombre de tortues possibles, sur un itinéraire qui traverse forêts, bayous, déserts et rivières.
Ce n’est pas seulement une aventure naturaliste, c’est un récit de passion, d’épuisement, et de découvertes inoubliables. Entre admiration pour la biodiversité et prise de conscience écologique, ce voyage révèle les trésors méconnus – et menacés – de la faune nord-américaine.
Un road-trip scientifique et émotionnel
Derrière cette expédition, baptisée ironiquement “Turtle Cannonball Run”, se cache bien plus qu’un simple voyage. Initiée via une conversation de groupe entre passionnés d’herpétologie, l’idée devient vite un projet concret. En huit jours, Anthony Pierlioni, Kevin Pollack et John Weir parcourent les États-Unis d’est en ouest, de Jacksonville (Floride) jusqu’à Los Angeles, mais sans jamais passer par la voie rapide.
Leur mission : traverser les hotspots de biodiversité à la recherche d’espèces emblématiques, rares et parfois légendaires. Cette cadence effrénée impose une tension constante entre l’envie de s’arrêter et le besoin d’avancer. Chaque étape devient une course contre la montre, chaque observation un moment de grâce. L’objectif initial : documenter 13 espèces de tortues, 7 serpents, 8 lézards, 10 amphibiens, 2 salamandres et un crocodilien.
Rencontres mythiques au cœur de la nature sauvage
Dès les premiers jours, les découvertes s’enchaînent à un rythme effréné. En Floride, l’équipe repère 45 tortues en une session, dont le convoité Gopherus polyphemus (tortue gaufre), des suwannee cooters et une impressionnante femelle alligator snapping turtle, surnommée “Babajaga”. Un spécimen rare, aveugle, qui semble tout droit sorti de la Préhistoire.
Chaque région réserve son lot de surprises. Dans le territoire du Panhandle, au nord de la Floride, les explorateurs rencontrent la plus grande sous-espèce de tortue boîte d’Amérique : la Gulf Coast box turtle, avec ses étonnantes couleurs bleues chez les mâles. En Alabama, ce sont les légendaires map turtles comme l’Espèce de Barbour qui viennent enrichir leur collection. Plus loin, en Mississippi, le trio croise des Pascagoula map turtles et découvre deux spécimens aux caractéristiques étonnamment archaïques, évoquant directement les ancêtres des tortues modernes.
🧠 À retenir –
La quête d’une biodiversité oubliée dévoile une richesse insoupçonnée au cœur des États-Unis. En croisant observations de terrain, matériel spécialisé, et intuition, l’équipe confirme : certaines espèces pourraient encore receler des secrets évolutifs majeurs.
Traversée d’un pays modelé par l’homme
Au fil du voyage, une vérité dérangeante s’impose. Partout, la trace de l’homme est visible — jusque dans les parcs nationaux les plus isolés. Routes, canaux, cultures intensives, construction incessante : l’habitat naturel recule, se fragmente. Même au cœur des forêts denses ou des rivières reculées, les espèces doivent composer avec des environnements dégradés.
En Louisiane et au Texas, les tortues se font plus rares. Ici, le biotope a été remanié de fond en comble, au profit de l’agriculture, du pétrole ou de l’urbanisme. Pourtant, des découvertes étonnantes persistent, comme ces tortues marines et d’eau douce cohabitant malgré tout dans des canaux bétonnés remplis de déchets à Los Angeles.
Plus à l’ouest, la traversée des déserts texans, du Nouveau-Mexique et de l’Arizona se transforme en quête quasi-silencieuse. Peu de reptiles, peu de traces. La saison n’est pas la bonne pour les serpents, et le désert semble figé. Pourtant, à force de persévérance, des pépites apparaissent : une tortue des Rio Grande, un chuckwalla à Joshua Tree, ou encore une majestueuse couleuvre californienne, noire et blanche.
Une obsession au service de la préservation
À l’issue des 8 jours, le trio totalise 413 animaux observés, dont… 275 tortues. Soit plus des deux tiers du butin naturaliste. Avec 59 espèces d’herpétos différentes recensées, cette expédition côtoie les performances des projets scientifiques plus structurés.
Mais au-delà du chiffre, c’est une prise de conscience que veut transmettre Pierlioni. Celle que ces espèces extraordinaires subsistent encore. Mais pour combien de temps ? Dans une Amérique tachetée de béton, de pipelines et d’autoroutes, la faune reptilienne trouve encore sa place. À nous de préserver cet équilibre fragile.
Les tortues, souvent perçues comme lentes, inertes, peu spectaculaires, incarnent pourtant une puissante leçon d’adaptabilité. Survivantes d’un autre temps, elles creusent leur sentier, résistent aux invasions, acceptent jusqu’à l’eau polluée pour continuer d’avancer. Un miroir de notre endurance… ou de notre résignation ?
📝 Cet article est inspiré de la publication originale :
The Great American Turtle Chase