Les singes d’il y a 20 millions d’années vivaient au cœur d’un chaos permanent

Bien avant que les premiers humains ne marchent debout, nos ancêtres primates évoluaient dans des forêts africaines instables et tourmentées. Une récente étude menée au Kenya révèle des écosystèmes bien plus chaotiques qu’on ne l’imaginait, où cendres volcaniques, incendies et inondations sculptaient à chaque saison un nouveau décor de vie sauvage.

Ces conditions extrêmes pourraient bien avoir joué un rôle clé dans l’évolution des grands singes, leur adaptabilité devenant l’outil le plus précieux pour survivre dans une nature en perpétuelle transformation.

Un site fossilifère unique en Afrique de l’Est

Situé dans l’ouest du Kenya, le site de Koru 16 fascine les scientifiques depuis presque un siècle. Cet ancien paysage recouvert de cendres volcaniques renferme une richesse exceptionnelle : des fossiles de primates vieux de 20 millions d’années préservés par les éruptions du volcan Tinderet, aujourd’hui éteint.

Entre 2013 et 2023, l’équipe dirigée par Venanzio Munyaka a méthodiquement exploré deux zones du site. Près de 1 000 feuilles fossilisées ont été extraites, aux côtés de centaines d’ossements appartenant à 25 espèces différentes : serpents géants, rongeurs variés, et surtout, plusieurs types de singes remarquables comme Proconsul africanus, Proconsul major et un mystérieux nyanzapithèque de grande taille, nouvellement identifié.

Le nombre et la diversité des fossiles de singes rendent Koru 16 unique au sein du groupe Tinderet. Cette concentration d’espèces laisse penser que la région constituait un berceau clé de l’évolution simiesque, au sein d’une forêt luxuriante mais instable.

Un monde de feu, d’eau et de transitions brutales

Grâce à l’analyse des sols anciens, des feuilles fossilisées et de restes de souches d’arbres, les chercheurs ont reconstitué le climat du passé avec une précision rare. Il s’agissait d’une forêt tropicale chaude (environ 25°C annuels), humide (près de 2 000 mm de précipitations par an), mais soumise à des dérèglements constants : éruptions, feux de brousse, crues saisonnières…

Ce n’était pas une forêt figée, mais un patchwork d’habitats en perpétuel changement. Certaines zones étaient densément couvertes, d’autres fraîchement ouvertes par des catastrophes naturelles. Dans cet environnement imprévisible, les singes devaient sans cesse s’adapter : modifier leur alimentation, changer de méthode de déplacement, ou encore s’organiser socialement pour faire face à l’impermanence.

🧠 À retenir – Koru 16 montre que l’évolution des grands singes ne s’est pas faite dans des paradis stables, mais dans des paysages traumatisés et ressuscités sans cesse, où survivre exigeait agilité, plasticité comportementale et rapidité de réponse aux événements naturels.

Des forêts mouvantes aux structures variées

Les feuilles fossilisées retrouvées sur place appartenaient à 18 types de plantes très différentes, souvent à croissance rapide et de courte durée de vie. Leur morphologie trahit un environnement soumis à des perturbations fréquentes, où la végétation devait se régénérer vite après chaque épisode destructeur — incendie ou chute de cendres.

Ces plantes venaient à la fois de sous-bois ombragés et de clairières pleinement ensoleillées, suggérant un paysage à canopée fragmentée. Certaines feuilles ressemblaient à celles que l’on retrouve aujourd’hui en Ouganda ou à Madagascar : des zones connues pour leur humidité variable et la fréquence des épisodes extrêmes de type cyclone ou feu de brousse.

L’examen de souches d’arbres fossilisées a complété le tableau. Dans certaines zones, les arbres étaient serrés et denses, typiques d’une forêt mature. Ailleurs, ils étaient espacés, évoquant un milieu récemment perturbé ou en cours de reboisement naturel. Cela confirme que les forêts de l’époque étaient loin d’être homogènes, et que cette diversité interne influençait fortement la mobilité et le comportement des espèces vivant là.

Des singes confrontés à l’imprévu depuis des millions d’années

Les trois espèces de singes découvertes à Koru 16 ne vivaient pas dans l’isolement. Leurs fossiles étaient mêlés à ceux d’un écosystème entier : reptiles, amphibiens, rongeurs prolifiques… Cette cohabitation témoigne d’un écosystème complexe, structuré en strates végétales et en niches écologiques complémentaires.

Mais c’est probablement dans ces défis quotidiens que les ancêtres des grands singes ont forgé les traits qui les rendraient si résilients : capacité à varier leur alimentation, mobilité au sol renforcée, sensibilité accrue au changement. Autant d’adaptations qui allaient plus tard être réinvesties dans la lignée humaine, lorsque nos ancêtres commencèrent à se redresser et à conquérir d’autres biotopes.

Le plus frappant, c’est que cet environnement instable n’a pas freiné l’évolution des primates. Au contraire, il a accéléré leur diversification. Ce constat inverse une idée reçue selon laquelle l’évolution aurait besoin de conditions stables. À Koru 16, c’est la contrainte qui a guidé la créativité de la nature.

📝 Cet article est inspiré de la publication originale :
Early apes lived in a constantly changing world of fire and ash

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